Malgré les annonces, la France reste profondément désindustrialisée : 12% des emplois salariés sont dans l’industrie au premier trimestre 2024 (13,1% il y a 10 ans) (source : INSEE)

Les facteurs sont indéniablement multiples. On s’intéresse ici à la place de l’enseignement supérieur dans cette désindustrialisation.

Le premier indicateur qu’il convient de regarder est le nombre d’ingénieurs formés par rapport à l’ensemble des étudiants. On choisit ici de comparer la part d’étudiants ingénieurs pour 1000 étudiants toutes filières confondues, à la part d’étudiants en école de commerce (et gestion, comptabilité et vente).

On constate que jusqu’au début des années 2000, l’enseignement supérieur formait plus d’ingénieurs que de diplômés d’écoles de commerce.  Ce n’est plus le cas depuis au moins 2010. Depuis 2020 le nombre d’ingénieurs formés n’est plus que deux tiers de celui d’étudiants en écoles de commerce.

Mettre ce tableau en face de celui de la balance commerciale nationale est cruel mais nécessaire. Depuis 2014, le déficit commercial hors énergie et matériel militaire a triplé :  19 à 54 milliards d’euros.


Quelle partie de ce déficit provient d’un manque d’ingénieur dans le pays pour créer de nouveaux biens et services ou relocaliser ? Même si la complexité de l’analyse impose d’être prudent, on ne peut néanmoins que rappeler que l’industrie ne peut se passer d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers qualifiés, toutes ces compétences et métiers dévalorisés depuis près de 25 ans. Est-il utile de rappeler le slogan rétrospectivement stupidissime de “l’entreprise sans usine”, et donc sans ces métiers techniques, lancé par celui qui a quasiment détruit dans le pays les industries dont il avait la responsabilité ?

La perte de prestige des métiers de l’industrie se voit dans les débouchés affichés par les plus grandes écoles d’ingénieurs :

– L’enquête Premier Emploi 2022 de l’Ecole Polytechnique montre que seuls 57% des 46% de diplômés qui vont en entreprise s’orientent vers l’industrie. Pour la première école d’ingénieur de France, avec une fibre “poly technicienne” assumée, 12% de diplômés dans l’industrie. Est-ce suffisant ?

– Pour l’Ecole des Mines, l’étude 2024 montre que ce ne sont que 18% des ingénieurs civils qui vont vers l’industrie. Si on rajoute 23% de ceux allant vers les Systèmes d’information et les Technologies d’Information, qui sont en partie de l’industrie, on obtient 41%. Mais concernant les fonctions, seuls 16% s’intéressent à “Production / Exploitation / Supply chain”.

– Enfin pour les Centraliens, le secteur de prédilection est … l’audit et le conseil, à 20%. Si une part d’entre eux travailleront pour l’industrie, combien recommanderont de réindustrialiser le pays, quand seuls 11% d’entre eux se dirigent vers ce domaine ?

Coïncidence ? Corrélation ? Causalité, et si oui dans quel sens ? Le nombre d’étudiant ingénieurs allant vers la filière industrielle est au plus bas depuis des dizaines d’années et au niveau des 12% d’emplois salariés dans l’industrie.

Si les institutions qui forment les élites de demain ne sont pas capables de motiver leurs étudiants à reprendre en main l’industrie du pays, qui le pourra ?