Sommet Choose France : La France réellement attractive ?
Le sommet Choose France, présenté comme un étendard de la prétendue réindustrialisation et de l’attractivité économique française, suscite un enthousiasme manifeste de la part des autorités et des médias. Cependant, une analyse plus approfondie révèle une réalité bien plus nuancée.
Un bilan contrasté
Le gouvernement a durant ce sommet mis en avant le nouveau classement du cabinet EY sorti ce 2 mai, plaçant la France en tête des pays européens en termes de nombre de projets d’investissements étrangers pour la cinquième année consécutive. Cependant, ce classement est contestable. En se basant uniquement sur le nombre de projets, il néglige des indicateurs plus significatifs tels que les montants investis et le potentiel économique de ces investissements.
L’économiste Lucas Chancel, dans une tribune au Monde, met en lumière cette disparité en relativisant le triomphalisme du baromètre EY.
Selon lui, l’utilisation du baromètre d’attractivité économique est trompeuse. En 2023, la France a enregistré 1 194 projets d’investissements étrangers, surpassant le Royaume-Uni et l’Allemagne. Cependant, ce nombre de projets n’est pas significatif car il importe moins que les emplois créés.
En termes de créations d’emplois, la France passe en troisième position derrière le Royaume-Uni et l’Espagne, avec 39 773 nouveaux emplois. Si l’on ajuste ces chiffres par rapport à la taille du pays, la France tombe à la huitième position. En comparaison, la France a enregistré 142 000 nouveaux chômeurs en 2023, soit trois fois et demie plus que les emplois créés par les investissements étrangers.
En compilant les données OCDE, l’économiste Charles-Henri Gallois précise que la France se place en tête des IDE en Europe en nombre de projets mais ne l’a jamais été en termes de montants investis. Sur la période 2017-2022, elle se classe seulement cinquième.
Les problèmes de sécurité ont également un impact négatif sur l’attractivité de la France. L’indice d’attractivité du territoire 2024, publié par le réseau des conseillers du commerce extérieur, montre une tendance baissière depuis 2020, atteignant le niveau le plus bas depuis 2017. Les critères de sûreté des personnes qui se dégradent en France sont particulièrement préoccupants pour les dirigeants et chefs d’entreprise internationaux.
Un enjeu de souveraineté
L’investissement direct étranger (IDE) est souvent présenté comme un atout majeur pour l’économie. Toutefois, son impact mérite d’être questionné. En effet, un afflux massif de capitaux étrangers peut poser des problèmes de souveraineté, notamment dans des secteurs stratégiques. La dépendance accrue à l’égard de l’étranger peut compromettre la maîtrise nationale sur des industries clés. A titre d’exemple, dans le dossier épineux entourant le rachat de l’entreprise Atos se pose la question de l’entreprise Worldgrid. Filiale du groupe Atos, elle fournit des logiciels de contrôle commande pour les centrales nucléaires françaises. Sa reprise par plusieurs candidats est actuellement à l’étude, la captation de cette entreprise par une puissance étrangère relève d’un caractère hautement stratégique.
De même, de nombreuses startups françaises dans le secteur des technologies de pointe (intelligence artificielle, biotechnologies, cybersécurité) sont des cibles attrayantes pour des investisseurs étrangers. Si ces startups sont vendues à des entreprises non françaises, cela pourrait entraîner un transfert de technologies critiques à l’étranger, réduisant ainsi la capacité d’innovation nationale.
Le ministre délégué chargé de l’industrie Roland Lescure a ainsi déclaré : “Pour les investisseurs, conquérir la France, c’est conquérir l’Europe”. Nous pouvons nous réjouir que la France soit attractive, mais nous devons surtout prêter attention au fait qu’elle ne soit pas pillée tout en servant de cheval de Troie pour les puissances étrangères et empêchant ainsi le développement et la conquête de marchés d’entreprises françaises. Et sur ce point, la position extérieure nette de la France, c’est à dire la différence entre ce que les français possèdent à l’étranger et ce que les étrangers possèdent en France atteint aujourd’hui un déficit de -630 milliards d’euros.
Ce déséquilibre massif souligne un caractère préoccupant de cette dégringolade, surtout lorsqu’on la compare à celle d’autres États membres. Par exemple, l’Allemagne et les Pays-Bas affichent des balances des paiements positives, renforçant leur souveraineté économique et leur capacité à influencer les marchés internationaux, contrairement à la France qui devient de plus en plus dépendante des capitaux étrangers.
Quelles perspectives pour la France ?
Le sommet Choose France, bien que mis en avant comme une preuve de la réindustrialisation et de l’attractivité économique de la France, révèle des réalités complexes et nuancées. L’investissement direct étranger, tout en étant un levier économique important, pose des questions de souveraineté nationale. Les classements flatteurs basés sur le nombre de projets d’investissements étrangers masquent des indicateurs plus pertinents tels que les montants investis et les emplois réellement créés. En réalité, la France se classe en tête en nombre de projets mais reste loin derrière en termes de montants investis, et les emplois générés sont insuffisants par rapport au nombre de nouveaux chômeurs. De plus, les problèmes de sécurité continuent de peser sur l’attractivité du territoire.
Il est également préoccupant de constater que les Français investissent trop peu dans leur propre économie, malgré un niveau d’épargne par habitant parmi les plus élevés au monde. Selon la Fédération bancaire française (FBF), il se situe en moyenne à 14,9% depuis 2000, nettement au-dessus des autres principaux pays de la zone euro, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Souhaite-t-on devenir un pays de rentiers décrépits, vendant la France à la découpe ou une nation souveraine ? Il est crucial d’adopter une vision plus critique et équilibrée de ces chiffres, afin de formuler des politiques économiques qui renforcent véritablement la souveraineté et la résilience économique de la France.
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Une analyse de Melvin Derradji.