NEEXT Engineering : Le combat pour une réindustrialisation locale – Alexis SESMAT
Crédit photo Portrait Mandarine
Une interview de Melvin Derradji, le 08/08/2024.
Est-ce que vous pouvez vous présenter, nous raconter votre parcours et votre rôle en tant que syndicaliste ?
Je suis Alexis Sesmat, ingénieur de formation, et j’ai commencé ma carrière chez General Electric il y a 20 ans, en 2004. J’ai occupé plusieurs rôles au sein de l’entreprise, en commençant par le développement, puis en élargissant mon champ d’expertise à l’ingénierie système. La dimension technique a toujours été au cœur de mon parcours, car c’est ce qui me passionne et me définit.
Face aux menaces qui pesaient sur l’emploi et l’industrie à Belfort, j’ai pris part à une résistance active, alertant les politiques et les parties prenantes sur les dangers de la désindustrialisation. Cette lutte nous a finalement conduits à la création de Neext Engineering, une entreprise née du besoin de préserver et de valoriser les savoir-faire industriels de notre région. NEEXT Engineering incarne notre vision de la réindustrialisation, centrée sur l’innovation et les compétences historiques du Nord-Franche-Comté.
Pouvez-vous nous présenter NEEXT Engineering ? Quels sont vos objectifs ? Quelle est la vision de l’entreprise ?
NEEXT Engineering est née d’un constat simple : nous avons un savoir-faire unique en ingénierie système ici, à Belfort, en Franche-Comté. L’ingénierie système consiste à concevoir et construire des projets complexes, comme des centrales électriques, en combinant des composants plus simples. C’est une compétence rare, et je suis convaincu que nous sommes parmi les meilleurs au monde dans ce domaine.
Notre vision chez NEEXT Engineering repose sur trois piliers. Tout d’abord, nous nous appuyons sur notre capacité à personnaliser des solutions industrielles en standardisant et en modulant les composants, ce qui est essentiel pour des technologies émergentes comme les petits réacteurs nucléaires (SMR).
Ensuite, nous avons intégré une innovation de pointe, le fluide réactif, développé par le CNRS. Cette technologie révolutionne la conversion de puissance et ouvre de nouvelles possibilités pour la production d’électricité.
Enfin, nous misons sur l’outil numérique, notamment l’intelligence artificielle, pour optimiser nos processus de conception et de réalisation. Contrairement aux multinationales, qui n’exploitent pas pleinement ces technologies, nous voyons dans le numérique un levier pour être plus efficaces et compétitifs.
En combinant ces trois éléments – savoir-faire local, innovation technologique, et utilisation avancée du numérique – NEEXT Engineering se positionne comme un acteur clé dans la décarbonation de l’industrie, offrant des solutions personnalisées et efficaces pour répondre aux défis de la transition énergétique.
Le programme SPARTA bénéficie d'un soutien de près de 10 M€, dont 7,3 M€ pour NEEXT Engineering via l'appel à projets France 2030 i-Démo 3. Quel impact ce soutien a-t-il eu sur le développement du projet ?
Le programme SPARTA, que nous avons lancé chez NEEXT Engineering, est notre initiative phare en matière de recherche et développement. Il vise à exploiter le potentiel des fluides réactifs, une innovation prometteuse que j’ai évoquée précédemment. Contrairement aux fluides inertes traditionnels comme l’air ou la vapeur d’eau, les fluides réactifs ont la capacité unique de stocker et de restituer la chaleur par une réaction chimique réversible, ce qui pourrait considérablement améliorer l’efficacité des cycles thermodynamiques dans les centrales électriques.
Théoriquement, l’utilisation de ces fluides pourrait améliorer de 20 à 30 % le rendement des cycles énergétiques et réduire de 50 % l’empreinte au sol des installations. Cependant, ces chiffres restent théoriques pour l’instant. Le projet SPARTA a pour but de valider ces hypothèses en conditions réelles, grâce à un banc d’essai conçu pour tester et mesurer les performances des fluides réactifs. Actuellement, nous sommes à un stade de maturité technologique TRL 2-3, ce qui signifie que nous sommes encore dans une phase théorique. L’objectif de SPARTA est de faire progresser cette technologie jusqu’à un niveau TRL 7-8, soit un niveau de maturité proche de l’application industrielle.
Le soutien financier que nous avons reçu, près de 10 millions d’euros dont 7,3 millions spécifiquement pour NEEXT Engineering via l’appel à projets France 2030 i-Démo 3, est crucial pour notre projet. Développer et tester une innovation aussi avant-gardiste demande des moyens considérables, et il est difficile de trouver des investisseurs prêts à financer quelque chose d’aussi théorique. C’est là que l’État français joue un rôle essentiel, en agissant comme un catalyseur de l’innovation. Grâce à ce soutien, nous avons les ressources nécessaires pour prouver la viabilité de notre technologie et potentiellement révolutionner le secteur de l’énergie.
Comment NEEXT Engineering contribue-t-elle à la réindustrialisation en France, notamment dans le secteur énergétique ?
Chez NEEXT Engineering, nous avons une ambition forte : devenir un nouvel acteur majeur de l’industrie en France, un « Alstom bis » ancré dans notre territoire. La réindustrialisation est essentielle non seulement pour le pays, mais aussi pour répondre aux défis économiques et climatiques auxquels nous faisons face. Aujourd’hui, la France souffre d’une balance commerciale désastreuse, en grande partie parce que nous ne produisons plus suffisamment ce dont nous avons besoin. Pour inverser cette tendance, il est indispensable de réindustrialiser.
L’industrie est cruciale pour la transition énergétique, un enjeu vital dans le contexte de la crise climatique actuelle. Nous devons adopter des modes de production et de consommation d’énergie plus vertueux. Chez NEEXT, nous croyons en la frugalité énergétique, c’est-à-dire produire et consommer uniquement ce qui est nécessaire. Par exemple, si nous concevons des bâtiments de manière plus efficace, il ne sera plus nécessaire de consommer autant d’énergie pour les climatiser. Nos produits sont conçus avec cette approche en tête, pour répondre aux véritables besoins énergétiques sans gaspillage.
La question de la souveraineté industrielle est également centrale. Nous ne devons pas dépendre de pays comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, ou même nos voisins européens pour des solutions énergétiques. Pour être maîtres de notre avenir, nous devons développer une industrie locale forte, capable de proposer des solutions adaptées à nos territoires. C’est là que NEEXT Engineering intervient : en tant que futur acteur industriel, nous visons à fabriquer localement les solutions que nous concevons aujourd’hui.
Bien que nous soyons pour l’instant concentrés sur l’ingénierie, notre ambition est de passer à la fabrication de nos propres solutions dans les prochaines années. Nous avons les savoir-faire nécessaires, notamment dans la fabrication de composants industriels complexes comme les turbines, et nous comptons bien les mettre à profit pour contribuer à la réindustrialisation de la France.
Quel est votre point de vue personnel sur les défis à venir dans le secteur de l'énergie en France et en Europe, et comment voyez-vous l'évolution de NEEXT Engineering dans ce contexte ?
Mon point de vue sur les défis à venir dans le secteur de l’énergie en France et en Europe est étroitement lié à l’identité et à la vision de NEEXT Engineering. Nous sommes profondément enracinés dans le Nord-Franche-Comté, et cet ancrage territorial est au cœur de notre approche. Contrairement aux multinationales, NEEXT Engineering se veut l’antithèse de ce modèle déterritorialisé. Nous croyons fermement en l’importance d’avoir des racines locales, non seulement pour notre entreprise, mais aussi pour le développement durable de notre région.
L’un des grands défis à venir dans le secteur de l’énergie est la décarbonation. Pour y répondre, il est crucial de proposer des solutions industrielles innovantes tout en restant connectés à nos territoires. Chez NEEXT, nous contribuons à cet effort non seulement par nos technologies, mais aussi par notre engagement à être un acteur local d’ingénierie. Nous formons des apprentis, collaborons avec les institutions académiques locales, et employons des talents issus du territoire de Belfort et des départements voisins.
Nous privilégions également des partenariats locaux, en recherchant des fournisseurs et des partenaires principalement dans notre Région Bourgogne-Franche-Comté ou en Alsace. Cette démarche locale est essentielle car nous croyons que l’activité industrielle a un effet vertueux sur la vie d’un territoire. Un emploi industriel, c’est entre trois et cinq emplois indirects : le boulanger, l’instituteur, le sous-traitant, tous ces acteurs bénéficient de la vitalité industrielle.
Dans ce contexte, je vois l’évolution de NEEXT Engineering comme un moteur de réindustrialisation locale, capable de revitaliser notre région tout en répondant aux défis énergétiques européens. Notre engagement pour le territoire n’est pas seulement une stratégie, c’est une conviction profonde que l’industrie doit être au service des communautés locales.
Quel message aimeriez-vous transmettre et que pensez-vous qu’il manque ou est insuffisant en France pour la réindustrialisation ?
Le message que j’aimerais transmettre est simple : la France manque cruellement d’une vision industrielle cohérente. À travers mon parcours, notamment syndical, j’ai été frappé par le manque de culture industrielle au sein de la classe politique. Que ce soit au niveau local, comme à Belfort, ou au niveau national, avec les responsables à Bercy, il y a une méconnaissance alarmante de ce qu’implique l’industrie et de son importance pour l’avenir du pays.
Ce déficit de culture industrielle se traduit par une absence de politique industrielle structurée. Bien que des fonds soient parfois alloués, comme avec les plans de relance, il n’y a pas de chef d’orchestre pour donner une direction claire et unifiée. Chacun agit de son côté, sans coordination ni vision d’ensemble. Un exemple frappant est celui de l’hydrogène : chaque région se déclare championne de l’hydrogène sans qu’il y ait une véritable cohérence nationale. On en arrive à une situation où il n’y a pas de stratégie unifiée pour faire de la France un leader dans ce domaine.
Je compare souvent cette situation à celle de l’agriculture, où malgré ses imperfections, la France dispose d’un ministère dédié et d’une politique agricole claire, débattue au plus haut niveau. En revanche, l’industrie n’a plus de ministère propre, ni même de véritable débat public. Nous n’avons plus les moyens concertés pour développer une industrie forte et cohérente.
Ce manque de cohésion est d’autant plus regrettable quand on se souvient des succès passés, comme le TGV ou la turbine Arabelle, où l’État a su rassembler les acteurs clés autour d’un objectif commun. Ces succès démontrent que lorsque la France se mobilise de manière unifiée, elle peut être imbattable. Alors pourquoi ne pas reproduire ce schéma pour répondre aux défis de la transition énergétique et d’autres grands enjeux industriels ?
Ma question, en fin de compte, est pourquoi la France ne se remet-elle pas en ordre de bataille pour redevenir championne du monde dans les domaines où elle excelle, notamment dans l’industrie ? Nous avons les compétences, les savoir-faire, et l’histoire pour le faire, mais il nous manque une vision claire et partagée pour y parvenir.