Une interview réalisée le 29 octobre 2024.

Face à l’obsolescence programmée et à la difficulté de réparer nos appareils électroménagers, EverEver relève un défi ambitieux : concevoir un lave-vaisselle durable, réparable et fabriqué en France. Porté par des convictions profondes sur la réindustrialisation et l’éco-conception, le projet vise à redonner du pouvoir aux consommateurs tout en réduisant l’empreinte écologique. Dans cette interview, le fondateur d’EverEver partage sa vision, les obstacles rencontrés pour convaincre les acteurs industriels et les enjeux de la relance industrielle française.

Qu'est-ce qui vous a motivé en 2018 à lancer un projet aussi ambitieux de création d'un lave-vaisselle durable et réparable en France ? Quelle est la vision derrière EverEver ?

Derrière EverEver, il y a des convictions profondes sur la réindustrialisation et l’éco-conception. Chaque matin, je me lève avec l’envie d’être utile à ma société. En tant qu’ingénieur, j’ai la conviction que nous pouvons créer des produits qui répondent à de vrais besoins, loin des gadgets, pour relever les enjeux de notre quotidien. Cette volonté a pris racine lors d’une expérience personnelle : j’avais une panne de lave-vaisselle, et en essayant de le réparer, j’ai réalisé que l’appareil était conçu pour décourager la réparation. À chaque étape, j’ai constaté que tout était optimisé pour la production, mais certainement pas pour permettre au consommateur de réparer lui-même son appareil.

Le déclic est venu de cette expérience : pourquoi nos objets du quotidien sont-ils conçus comme des « boîtes noires » inaccessibles ? J’ai trouvé anormal que le consommateur ait si peu d’informations pour réparer un produit qui lui appartient. Sans oublier le coût excessif des pièces détachées, parfois plus cher que l’appareil lui-même.

EverEver est né de cette idée : mettre fin à cette logique de produit jetable, enfermé dans une boîte noire. Si l’on ne peut pas ouvrir et réparer son lave-vaisselle, peut-on vraiment dire qu’il nous appartient ? Nous voulons casser cette logique pour redonner au consommateur le pouvoir de réparer, d’entretenir et de conserver ses biens. Grâce à l’information, à la formation, nous voulons que chacun puisse reprendre le contrôle sur les objets qu’il utilise.

Quelles ont été les principales difficultés pour convaincre les investisseurs et les équipementiers d’accompagner un projet industriel made in France ?

Les plus grands défis ont résidé dans la capacité à rassurer les équipementiers. Dans le secteur du gros électroménager, à l’image de l’automobile, les grands groupes dépendent de partenaires techniques de longue date, avec des savoir-faire pointus et une stabilité rarement perturbée par de nouveaux acteurs, surtout européens. Quand nous avons frappé à leur porte, ils étaient surpris : ils pensaient qu’on était une simple agence de design avec un projet annexe. Quand nous avons expliqué notre ambition de lancer un produit fabriqué en France, la surprise a été totale.

Nous avons dû convaincre ces acteurs établis, certains n’ayant jamais traité avec de nouveaux clients, que nous étions sérieux. Nous avons alors plongé directement dans les aspects techniques pour démontrer notre expertise afin de montrer que nous connaissions notre sujet et ça a été essentiel pour instaurer la confiance.

Ensuite, notre première campagne sur Ulule, qui a rencontré un vrai succès, et la couverture médiatique ont également joué un rôle important pour rassurer les équipementiers. Dans un marché où l’innovation se fait rare, il est risqué pour eux de passer à côté d’un nouveau projet prometteur, d’autant plus face aux défis posés par les compétiteurs asiatiques. Même si nos commandes initiales étaient modestes en volume, nous avons insisté sur la vision à long terme de notre projet, visant à étendre EverEver à toute la cuisine. Finalement, notre message a été bien reçu, et les équipementiers ont compris qu’investir dans EverEver, même avec de petites commandes, pouvait être un pari payant.

Vous avez été lauréat de l’appel à projet « Première Usine » dans le cadre du plan France 2030. Comment ce soutien public contribue-t-il à solidifier votre projet industriel, et quel rôle voyez-vous pour l’État dans la relance de la production industrielle en France ?

Être lauréat de l’appel à projet « Première Usine » dans le cadre de France 2030 est un véritable label de qualité. Ce soutien est précieux car il apporte une reconnaissance officielle et rassure les différentes parties prenantes : investisseurs, banques, collectivités et même les élus locaux. Le processus de sélection de cet appel à projet est rigoureux, et l’obtention de ce label montre que notre projet est sérieux, solide et aligné avec les ambitions industrielles de l’État.

Sur le plan financier, cette aide est un atout majeur pour consolider notre plan de financement. Elle permet de limiter les risques pour les banques et les investisseurs, facilitant ainsi notre accès aux capitaux. Mais au-delà de l’aide financière, il y a aussi un effet de crédibilité qui influence positivement les collectivités locales, qui se sentent rassurées par ce soutien national. Cela crée une synergie entre l’État, les territoires et les entreprises, avec une mécanique bien huilée qui donne un coup de pouce essentiel à des projets industriels ambitieux comme le nôtre.

Quant au rôle de l’État, je pense qu’il est essentiel, surtout pour les projets industriels. En France, les investisseurs privés sont souvent très orientés vers le digital et les solutions SaaS, notamment en B2B. Ils manquent parfois de curiosité ou de compétences pour évaluer correctement les projets industriels. Si l’État peut inciter, par exemple, via des mécanismes comme ceux de BPI France, les fonds de capital-risque à investir davantage dans les secteurs industriels, cela serait bénéfique. L’industrialisation, surtout sur des projets matériels, nécessite un soutien de long terme et des expertises qui ne sont pas toujours présentes dans les fonds classiques.

Comment a été perçu EverEver par les consommateurs, quel a été leur retour ?

Le retour des consommateurs a été très positif et marqué par un réel engouement, notamment lors de notre campagne de prévente. Pendant le salon du Made in France, nous avons bénéficié d’une couverture médiatique importante, avec des apparitions sur Télé Matin, BFM, et TF1. Cette visibilité a généré plus de 45 parutions dans les médias et un immense soutien de la part du public.

Parmi nos premiers acheteurs, il y a un fort engagement sur le plan environnemental : ils sont sensibles à notre démarche d’éco-conception, qui permet de réduire l’empreinte carbone de 45 % et de diminuer l’utilisation de ressources fossiles de 70 % par rapport à un lave-vaisselle standard. Ces chiffres sont soutenus par des analyses de cycle de vie détaillées, ce qui a rassuré les clients engagés sur le plan écologique. D’autres clients ont été attirés par notre production locale, notamment dans un secteur qui a vu de nombreuses fermetures d’usines en France ces dernières décennies.

Au-delà de l’éco-conception et du Made in France, c’est surtout la durabilité qui attire nos clients. Conçu pour durer plus de 20 ans, notre lave-vaisselle représente un investissement fiable, évitant le cycle de remplacement fréquent et coûteux des appareils jetables. Sur le plan esthétique, notre produit a également séduit. Certains clients m’ont surpris en affirmant avoir choisi EverEver simplement parce qu’ils trouvaient le design beau, avec des couleurs comme le bleu nuit et le terracotta qui plaisent beaucoup.

Nos clients apprécient d’abord la robustesse et la réparabilité exceptionnelle de notre produit, sa capacité à s’adapter à l’évolution de leur intérieur au fil des ans, et son côté esthétique. L’éco-conception et le Made in France restent des « plus » importants, mais le critère principal de choix reste la durabilité.

Au-delà du succès d’EverEver, comment voyez-vous l’avenir de la réindustrialisation en France et de la reconquête de certaines filières ?

Je suis convaincu que l’avenir de la réindustrialisation en France passe par la relance de la production d’objets du quotidien. Certes, des secteurs comme la défense ou les batteries sont stratégiques, mais il est tout aussi crucial de redonner vie à la fabrication d’équipements domestiques. Le gros électroménager, par exemple, mobilise des compétences variées en mécanique, électronique, ingénierie système et traitement du signal, qui sont précieuses pour d’autres secteurs comme l’automobile ou même la défense. En maintenant ces compétences en France, nous enrichissons un écosystème industriel diversifié et créons des synergies entre différents secteurs, facilitant le transfert de compétences et de main-d’œuvre qualifiée.

En réindustrialisant des produits plus « ordinaires » comme le gros électroménager, nous renforçons aussi nos réseaux de sous-traitance. Beaucoup de nos sous-traitants travaillent également pour l’automobile et la défense, et diversifier leurs commandes avec des projets comme EverEver leur permet de sécuriser et d’optimiser leur activité. Ces secteurs partagent des exigences strictes en matière de qualité, de délais et de coûts, et les compétences acquises dans l’automobile, par exemple, s’avèrent extrêmement utiles pour la production de biens électroménagers.

Pour rendre la fabrication compétitive en France, il est essentiel de revoir nos processus d’assemblage et de design. Les produits conçus pour être assemblés rapidement et efficacement, avec une main-d’œuvre qualifiée, deviennent un atout économique face aux importations. La proximité avec le marché réduit les stocks et les délais de livraison, limitant les coûts logistiques, qui peuvent être plus élevés que le coût d’assemblage en lui-même. En fabriquant localement, nous renforçons notre indépendance et notre réactivité, ce qui est un avantage compétitif de taille.

Comme mot de la fin, on compare souvent l’entreprenariat à un marathon. Et j’ai envie de dire, l’entrepreneuriat industriel, c’est un ultra trail.